Ce documentaire retrace l’itinéraire de A’a, une statue d’un dieu polynésien, de Rurutu au British Museum de Londres et aborde la question de son retour. Un débat encore vif dans la population de l’île. On apprend aussi les détails de sa fabrication artisanale, qui est extrêmement élaborée.

Quand Céile Baquey-Moreno présente son projet de documentaire à Hervé Boitelle et Thierry Bruant de la société Les films du Pacifique, elle fait mouche immédiatement. Tous deux ne savent rien de cette statue incroyable de Rurutu, A’a. « On s’est plongé dans le dossier et on a trouvé ça extrêmement intéressant », raconte Hervé Boitelle. « A’a, la Joconde de la Polynésie », projeté parmi les documentaires hors compétition au FIFO, retrace l’histoire de cette sculpture incroyable. Produite à Rurutu, elle a inspiré de grands artistes. Pablo Picasso et Henry Moore en avaient acquis une copie, installée en bonne place dans leur atelier respectif. Créée entre le XVIe et XVIIe siècle, elle a quitté Rurutu en 1821, envoyée à Raiatea par les habitants de Rurutu, pour être offerte au missionnaire John Williams comme preuve de leur conversion au christianisme. Elle est aujourd’hui dans les collections du British Museum et est exposée ponctuellement. La réalisatrice raconte l’histoire de A’a mais a également sollicité le Centre des métiers d’arts (CMA) pour travailler sur sa reproduction. Hihirau Vaitoare, enseignante en sculpture au CMA, détaille la sculpture sous tous ses aspects grâce à la 3D et emmène sa classe à Rurutu pour contempler la seule reproduction en taille réelle qui existe en Polynésie française de A’a, installée dans le hall de l’aéroport de l’île. Le spectateur réalise que la fabrication de la statue elle-même est le résultat d’un travail d’orfèvre… Pour Hervé Boitelle, « cette idée était extrêmement intéressante car cela nourrit le film et donne un autre regard sur l’artisanat de l’époque ». Ce voyage à Rurutu est aussi l’occasion de rencontrer des personnes ressources pour mieux comprendre ce que cette statue symbolise pour l’île : des vieux qui racontent les légendes, le maire de Rurutu, des personnes impliquées dans la culture.

Et tous donnent leur avis sur un retour ou non, en Polynésie française, de l’original de la statue conservée au British Museum. Certains sont pour, et d’autres contre. « Les avis sont tranchés mais ils ne vont pas tous dans le même sens… résume Hervé Boitelle. Le retour des œuvres dans leur pays d’origine est un débat mondial aujourd’hui. Nous étions satisfaits de produire un documentaire qui aurait une utilité sur cette question. Il est vrai qu’à Tahiti, on manque de pièces significatives. Il y avait un musée Gauguin, sans un seul tableau de Gauguin… » Au-delà de ce débat, il estime que produire des documentaires « patrimoniaux » est aujourd’hui indispensable pour la mémoire du pays. « Au début de la production, il y a 20 ans, nous faisions des films découverte avec l’image carte postale de la Polynésie, puis nous avons produit des documentaires sur les Polynésiens, leur quotidien. Aujourd’hui, nous souhaitons produire pour la mémoire, la culture, l’histoire, laisser des traces. » Pour chaque documentaire « patrimonial », Hervé Boitelle cède les droits d’utilisation au ministère de l’Éducation pour une diffusion dans les écoles. Cette démarche sera également entreprise pour ce film. « Les documentaires sont de bons supports pédagogiques. Ils ont plus d’impact qu’un cours théorique. » Travailler sur ces sujets, c’est également produire les archives de demain.

D’ailleurs, Hervé Boitelle veut donner plus de place à cet aspect dans son travail. Plusieurs documentaires sont en préparation, tous sur l’histoire et la mémoire polynésienne. Tahiti Saigon Story, réalisé par Jacques Navarro, parlera de la guerre d’Indochine et surtout de ces jeunes personnes qui se sont engagées pour une guerre à l’autre bout du monde, en trichant sur leur âge. « Ils se sont donnés corps et âme à l’État français, c’est incroyable. » Et puis un projet est en train de se mettre en place pour raconter l’histoire de Gaston Flosse, l’homme, en faisant abstraction de la politique. « Les documentaires sont des outils formidables pour raconter des histoires fortes exceptionnelles. Et le public est sensible à ça, à l’engagement d’un auteur ou d’un réalisateur », assure Hervé Boitelle. Une raison de plus pour se lancer dans ces documentaires qui contribueront à la mémoire de demain. 

 Lucie Rabréaud / FIFO 2020