Éric Barbier, président du jury du FIFO, a présenté lundi soir son film Petit pays, en avant-première au cinéma Liberty, dans le cadre du festival. Les spectateurs ont rempli trois salles, dans lesquelles la projection s’est déroulée en simultanée. Tous ont été touchés par la force d’une fiction qui parle du réel.
Le silence. La projection est finie. Le générique défile sur la musique de Gaël Faye qui porte le même titre que son livre et que le film d’Éric Barbier : Petit pays. « Nous en parlions : c’est la première fois que nous vivons un tel silence à la fin d’un film », racontent quatre copines en train d’échanger sur ce qu’elles ont vu. Le président du jury du FIFO, qui est aussi réalisateur de plusieurs films, a présenté lundi soir sa dernières œuvre en avant-première : Petit pays, adapté du livre de Gaël Faye. Début de l’année 1993, Gabriel, un petit garçon d’une dizaine d’année, vit au Burundi avec sa petite sœur Ana, son père français et sa mère rwandaise. C’est une enfance heureuse entre l’école et les copains. Mais la situation politique au Burundi se dégrade. L’enfant ne comprend pas toujours ce qui se passe mais perçoit les déchirements. « Cet enfant, qui vivait dans cette espèce de cocon de l’enfance, voit son paradis se fissurer. Ses parents se séparent et il en souffre, puis la situation de ces petits pays, que sont le Burundi ou le Rwanda, va exploser. Un coup d’État a lieu au Burundi qui entraine la guerre civile, puis c’est le génocide rwandais. Dans le roman, la famille est la caisse de résonance de l’histoire. Ce qui est très fort », explique Éric Barbier.
Ce roman, prix Goncourt des lycéens en 2016, a eu un énorme succès. La question s’est rapidement posée de l’adaptation cinématographique et après avoir rencontré plusieurs personnes, le choix de Gaël Faye s’est posé sur Éric Barbier. « On s’est particulièrement entendu sur la manière de raconter cette histoire, ce qu’on pouvait montrer et comment le montrer. » Les deux hommes vont alors travailler sur l’histoire du Burundi dont curieusement, il reste peu de traces des années 90. « Nous avons cherché des documents sur le Burundi. Sans en trouver… On se rend compte qu’entre 1991 et 1998, il n’y a rien. La meilleure référence documentaire pour moi était une fiction, filmée en 1990. Le réalisateur filme dans la rue, il filme les gens, les habits de l’époque… ça devient une source documentaire. L’important pour Petit pays est qu’il y ait ces personnes qui racontent leurs histoires. » Les acteurs du film étaient en grande majorité des habitants du Rwanda et des amateurs en matière de cinéma (le film a été tourné au Rwanda). Certains d’entre eux ont raconté leur propre histoire à travers la fiction. « L’idée était de garder une trace de ce passé. Le film se rapproche du travail documentaire dans le sens où j’ai réalisé l’importance d’avoir des archives, des informations, des écrits. Pour moi, changer le monde grâce aux documentaires, c’est utopique, mais ils sont essentiels pour la connaissance des cultures, des uns et des autres. »
Petit pays raconte des « petites » histoires qui racontent la grande histoire. « J’ai souvent demandé l’avis de Gaël sur le scénario, l’écriture, le montage. Il m’a donné beaucoup de choses : des images et des films de son enfance. Il m’a amené tout un matériel. On ne pouvait pas aller au Burundi car c’est un pays fermé. Aujourd’hui, c’est compliqué de le visiter. Mais je suis parti au Rwanda où j’ai rencontré beaucoup d’amis à lui, burundais, qui étaient de cette période. J’ai fait un gros travail préparatoire et je me suis dit je peux raconter cette histoire. Et cette histoire concerne le monde entier. » Une histoire qui a « sonné » les spectateurs. « J’ai pris une grosse claque », avoue l’une d’eux. « C’était très beau et très perturbant aussi. » Une autre spectatrice confie qu’elle n’avait pas lu le livre et n’allait peut-être s’y plonger tout de suite. Il faut d’abord « digérer » le film. Pour une autre, elle connaissait l’histoire mais « de loin » et elle a été particulièrement touché par « ce récit décousu car vu à travers les yeux de l’enfant qui ne comprend pas tout ». Éric Barbier est venu répondre aux questions des spectateurs, qui restaient toujours aussi silencieux et assommés par une histoire forte et réelle. Une fiction au souffle puissant.
Lucie Rabréaud / FIFO 2020