Comment adapter une œuvre littéraire à l’écran ? C’est tout l’objet du projet « Du livre à l’écran ». Au travers d’ateliers, dix scénaristes en herbes ont pu bénéficier des compétences et du savoir-faire d’un spécialiste du genre pour adapter des œuvres polynésiennes au cinéma. Nous avons pu assister au workshop final. Reportage.

Attentifs, la tête penchée sur l’ordinateur, le regard fixe… Assis à leur table de travail dans la salle Marama de la Maison de la Culture, les « élèves » de Franck Philippon, scénariste émérite, sont concentrés. L’heure est au bilan. Lancé lors du Salon du livre 2021, le projet « Du livre à l’écran » entame la dernière phase du processus. Après déjà deux ateliers organisés en novembre et décembre, le moment est venu du workshop final. La dizaine de participants confrontent leur scénario au regard du professionnel dont la renommée a dépassé les frontières, et peaufinent ensemble les derniers détails avant le grand oral. Vendredi 11 février, ils devront pitcher leur scénario devant un jury lors d’une session au FIFO de 11h à 13h. « Ça ne va pas être facile, c’est un challenge mais Franck nous prépare. Là on fait les derniers ajustements : les transitions des scènes, les plans d’image… L’expérience de Franck nous apporte énormément », confie Cynthia. La trentenaire a choisi d’adapter une des nouvelles de Cartes postales de Chantal Spitz. La tâche est ardue mais enrichissante. Elle n’est pas la seule à avoir sélectionné cette auteure, bien connue des Polynésiens. « J’aime beaucoup sa réputation qui est cash et c’est le premier livre que j’ai lu, explique Rehia, J’avais un peu peur d’adapter une nouvelle de Chantal Spitz mais j’espère avoir été à la hauteur ». Ce jeune étudiant de 23 ans a jeté son dévolu sur la première nouvelle de Cartes postales. Grâce aux différentes sessions, il a appris une méthode pour composer son histoire. « J’ai compris qu’il fallait par exemple trois actes : exposition, développement, résolution. C’est un schéma qui se colle pour toutes les histoires qu’elles soient d’aventures ou des drames ».

Un film sur cinq est une adaptation. En 2021, Gallimard a monté neuf fois les marches du 74e Festival de Cannes… D’après une étude statistique réalisée par Livres Hebdo en mai 2018, sur 731 films sortis en salles en France durant une année, près de 20 % sont des adaptations. Alors pourquoi ne pas faire entendre les récits, les voix et les histoires de Polynésie en les adaptant au grand écran ? C’est toute l’idée de l’Association des éditeurs de Tahiti et des îles et le Fifo, en partenariat avec l’ATPA et avec le soutien du ministère de la Culture, de la SCELF et du CFC. Une idée qui connaît un franc succès auprès des participants. « J’ai toujours rêvé de suivre une formation en écriture de scénario. On nous a offert cette opportunité et on est bien conscient de la valeur de cette formation avec Franck », estime Karine, institutrice de profession. La quinquagénaire, qui adapte Les savates de l’homme heureux, un album de littérature de jeunesse, s’est lancée dans l’aventure à l’aveugle. Aujourd’hui, elle est plus éclairée sur le sujet. « J’avais une idée du schéma narratif et des protagonistes mais là, j’ai compris les codes de l’audiovisuel. C’est une écriture qui demande à être visuel. On a l’habitude d’avoir une écriture littéraire alors que là on nous demande d’être plus précis, plus concis, de ne pas être redondants. On ne demande même pas de savoir bien écrire ». Dan, la quarantaine, lui a saisi qu’il fallait structurer son scénario, une adaptation de Méridien Zéro de Mourareau. Mais surtout, il a compris qu’il était comme un cuisinier qui doit adapter, souvent personnaliser, une recette pour concocter un excellent plat. « Les sessions de travail étaient très sérieuses, j’ai beaucoup appris, on était vraiment accompagné », confie cet ancien codeur dans le milieu des jeux vidéos qui vit une période de reconversion. Ces ateliers pourraient bien l’orienter vers de nouveaux horizons… Les scenarii finalisés seront présentés à un jury, durant le FIFO, qui désignera la meilleure adaptation. Par la suite, la réalisation du projet retenu (en fonction de l’obtention du budget de production) sera coordonnée par l’ATPA. Un des participants verra donc son projet porté à l’écran. Le début d’une nouvelle aventure.

INTERVIEW / Trois questions à Franck Philippon, scénariste et producteur

Il est un habitué du FIFO. Durant quatre ans, il a animé des ateliers d’écriture de scénario lors du festival. Scénariste et producteur, il a mis son talent au service des jeunes scénaristes en formation. Scénariste en 1997, il se partage entre le cinéma, pour lequel il a écrit trois films, et la télévision, où il a créé huit séries (La Crim’, No Limit, Mirage, Maison Close, Renaissance, etc.). Il dirige régulièrement des formations dans diverses écoles ou institutions. Interview.

Vous êtes partie d’œuvres polynésiennes, est-ce une découverte ?

J’ai lu la plupart des livres, je connais un certain nombres d’auteurs. Mais il y avait pleins de livres que je ne connaissais pas que j’étais ravi de découvrir. Il y a des choses très différentes, du livre pour enfants aux livres pour adultes, des nouvelles ou romans… Ils ont fait leur choix et c’était intéressant de les laisser s’approprier une œuvre pour exprimer quelque chose qui leur ressemble. Faire une adaptation qui soit à la fois fidèle au livre et en même temps qu’ils y injectent leur propre regard que ce soit une œuvre personnel. C’est ça qui est intéressant pour moi en tant que formateur car c’est un point de vue sur le monde qui n’est pas le mien.

Quelles sont les clés pour un bon scénario ?

Avoir un bon personnage et le plonger dans une situation conflictuelle intéressante, dont il va devoir se sortir. Quand on part d’un livre, l’avantage est que l’histoire est dans le livre, donc la matière est déjà là. Il ne s’agit donc pas d’inventer son histoire mais de l’adapter, c’est donc moins compliqué. Après, il faut l’organiser pour que cela ressemble à un scénario en sachant que l’écriture d’un livre n’est pas pareil que l’écriture d’un scénario, ce ne sont pas les mêmes méthodes et outils. Il faut donc savoir analyser ce qu’il y a d’exploitable dans le livre pour le retranscrire dans un scénario.

Quel est le bilan de cette formation ?

Le but était de leur donner des outils techniques pour écrire un scénario et raconter une histoire sous forme audiovisuelle. Ensuite, il fallait les appliquer à l’écriture d’un court-métrage adapté d’un livre pour qu’ils puissent aboutir à un scénario terminé, qu’ils aillent donc au bout de l’exercice. Dans la plupart des projets, je trouve qu’il y a de très jolis scénarios. La plupart se sont emparés des œuvres choisies pour en faire leur version. Je ne doute pas qu’ils réussiront à aboutir leur scripts. Je trouve qu’il y a des choses très différentes mais globalement très réussis. Ils ont très bien travaillé.

 

Article rédigé par Sulianne Favennec