Fa’amoana John Luafutu et son fils Matthias Luafutu sont les protagonistes du documentaire, A boy called Piano, réalisé par Nina Nawalowalo, en compétition au FIFO. Toute l’équipe du film est présente à Tahiti, venue à la rencontre du public et des détenus de Tahiti, raconter leur histoire.
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Quelques notes de piano, des bulles d’air, de l’eau sombre, un enfant immergé dans la mer entoure ses genoux de ses bras. On croirait un bébé dans le ventre de sa mère. « Innocence. On commence tous dans l’innocence », dit Fa’amoana John Luafutu. Le piano était le premier amour de sa mère. Après être tombée enceinte, elle arrête de jouer et appelle son fils « Piano », son deuxième amour. Toute la famille part des Samoa pour la Nouvelle-Zélande, espérant une vie meilleure pour leurs enfants, rêvant qu’ils deviennent médecins, avocats… Mais voilà Fa’amoana ne parle pas anglais et il est perdu dans cette école où on se moque de lui. On lui enlève même son prénom, préférant l’appeler John, plus facile à prononcer. Alors l’enfant va faire l’école buissonnière. C’est mieux d’être au parc. Arrêté par la police, il est emmené au tribunal pour enfants et placé dans un foyer de rééducation. Ainsi commence l’enfer… À 13 ans, il se retrouve au foyer de Kohitere. « J’en ai appris beaucoup sur des choses pas très jolies, raconte-t-il alors qu’il revient sur les lieux, 48 années plus tard. C’est vraiment très bizarre d’être là. Beaucoup de gars avec moi à cette époque sont morts. » Les enfants y sont maltraités, enfermés dans le quartier d’isolement, une cellule de quelques mètres avec un seau, au moindre écart. « Les lumières et les ombres à la fenêtre nous indiquaient les moments de la journée. » Ceux qui sortent de cet endroit se retrouvent généralement en prison quelques années plus tard. Gangs, violence… « On sort de ces foyers en colère. J’étais rempli de haine. Ça a juste donné des tonnes de bouillis. On devient une tête brûlée. »
En prison, il tombe sur un livre d’Albert Wendt, poète et écrivain samoan : Sons for the Return Home. C’est un électrochoc. Il se met à correspondre avec l’écrivain qui l’encourage à écrire sa propre histoire. Avec ce livre, A boy called Broke, Fa’amoana John Luafutu essaye de comprendre sa vie. D’autant que son fils aîné suit ses traces : la prison. À l’époque, beaucoup ont la même histoire : le père qui est allé en foyer de rééducation et le fils qui va en prison. Matthias Luafutu va être sauvé par la comédie. Il fait du théâtre en prison et devient comédien. Les deux hommes se relèvent, l’un grâce à l’écriture et à la musique, et l’autre grâce au théâtre et au cinéma. « Ce n’est que maintenant que je peux regarder mon passé, explique Matthias. Je sais ce que ça représente de se tenir debout non seulement pour le futur mais pour le passé aussi. » Les deux protagonistes de ce documentaire impressionnant sont présents au FIFO à Tahiti et ont parlé de leur histoire au grand-public mais également aux centres de détention de Nuutania et de Tatutu. « Hier, nous sommes allés à la prison de Tahiti, nous voulions montrer le film aux détenus. J’ai vu un gars, même âge que moi, et son fils, détenus tous les deux, ils pleuraient. C’était émouvant de voir ces durs à cuire pleurer car ils s’identifiaient à notre famille. Je leur ai conseillé d’écrire leur histoire, de se regarder au présent et de faire quelque chose de positif pour leur famille. C’est un honneur d’amener ce film dans les prisons pour encourager un changement social », raconte Fa’amoana John Luafutu.
Aujourd’hui à travers leur témoignage, les deux hommes se battent contre « cette industrie » : « Les pouvoirs publics veulent plus de béton, plus de prison mais il faut mettre fin à cette industrie car c’est une industrie ! » Entendu par la commission royale sur les abus dans les foyers pour enfants, on voit Fa’amoana John Luafutu témoigner des maltraitances et c’est le pays tout entier qui essaye de regarder son passé en face. « C’est vraiment l’histoire de nombreux enfants de Polynésie, c’est la réalité de beaucoup de personnes, affirme Nina Nawalowalo, la réalisatrice, qui travaille avec la famille Luafutu depuis de nombreuses années. Ensemble, ils ont écrit et joué une pièce de théâtre, puis une pièce radiophonique avant de réaliser un documentaire présenté cette année en compétition au FIFO. « Je pense que c’est très universel. C’est intéressant de voir que dans les documentaires, que ce soit au Canada, en Finlande, en Australie, quelque chose est cachée mais cela existe. Le plus important est de dire la vérité, de dire l’impact de ces choses et que ça devient un problème générationnel. Il faut amener ces choses à la surface pour essayer d’en guérir. » Matthias Luafutu ajoute qu’effectivement, cette douleur a été « héritée ». Mais il a suffi d’un seul : « Mon père a transformé sa vie et m’a encouragé à changer la mienne. Je l’ai fait suffisamment tôt pour sauver mon fils du même parcours.
Mes enfants n’ont pas les mêmes difficultés, on est mieux maintenant. Je me sens béni, j’ai beaucoup de chance de faire une carrière au cinéma et au théâtre, ça a transformé ma vie. »
Le documentaire se termine sur cette parole de Fa’amoana John Luafutu : « L’histoire de milliers d’enfants doit être entendue. Nous devons regarder notre histoire en face. Que la vérité nous libère. »
Lucie Rabréaud – FIFO