C’est le genre de film qui vous prend aux tripes. Il expose sans détours la façon implacable d’intervenir de l’État australien vis-à-vis des Aborigènes. Des Aborigène qui représentent 3% de la population en Australie mais 23% de la population carcérale. En sélection officielle de cette 20e édition du FIFO, Incarceration nation est un film coup de poing. Rencontre avec son réalisateur, Dean Gibson.

Il ne vous laisse pas indemne. Colère, tristesse, espérance… Les émotions bouillonnent à la vue du documentaire Incarceration nation. Ce film fait la démonstration sans concession de l’impact de l’héritage coloniale sur les Aborigènes. Un peuple qui au fil des discriminations et des violences a développé des traumatismes sur des générations. La population aborigène décimée par le colonialisme représente aujourd’hui qu’une minime partie des habitants de l’Australie. Pourtant, plus de 20% d’entre eux remplissent les prisons du pays. Des hommes, des femmes, des jeunes traités avec violences et inhumanité menant parfois à la mort. En 30 ans, 474 indigènes sont décédés en prison. « J’ai fait plusieurs films mais celui-ci a été le plus important et difficile à faire. Je pense que le traumatisme qui apparaît dans le film est intergénérationnel. C’est un thème très important en Australie et on n’en parle pas beaucoup dans les télévisions. Je suis très fier d’avoir fait ce film », confie le réalisateur d’origine aborigène, Dean Gibson, qui aura mis quatre pour réaliser ce documentaire coup de poing à la vérité criante. Quatre ans pour récolter les images et les preuves puis contacter et rencontrer les familles victimes de cette cruauté. « On doit prendre le temps de se poser et d’écouter toutes les histoires. On a envoyé des gens partout afin de trouver les familles pour qu’elles nous donnent l’autorisation d’utiliser les images. Ce n’est pas facile pour eux émotionnellement car ce sont leurs proches à l’écran, mais le consensus a été extraordinaire. Elles étaient aussi contentes qu’on montre ces situations car il faut parler. On doit trouver notre voix. »

Un film qui impacte

Pour raconter cette terrible situation, si difficile à imaginer et pourtant bien réelle, le réalisateur a abordé l’histoire par le prisme aborigène. « On a fait sept-huit tentatives d’écriture mais dans toutes ces tentatives, ce qui était d’abord important c’était la vérité, la vérité des Aborigènes vues par les Aborigènes». L’équipe du film a d’ailleurs fait appel à un avocat pour lister les fautes, les manquements au droit humain, les maltraitances. Des pages et des pages de commentaires. « Il avait du mal à y croire mais il a dû se résigner quand on lui a montré nos sources. Elles montraient des faits». Le processus n’a pas été sans conséquence et a laissé des traces. Une ligne de budget consacrée à la thérapie a été ouverte. « Il fallait aider psychologiquement l’équipe car on a passé 20 semaines à voir ces images terribles et entendre ces paroles. Notre monteuse a dû s’éloigner un temps car émotionnellement c’était trop fort, trop dur. Ça m’a pris du temps aussi mais ça valait le coup. C’était fondamental de le faire ». Dean Gibson le sait, le film a un rôle et un impact. En levant le voile sur ces situation, il change la perception et les mentalités. « Peu de gens en Australie connaissent l’histoire passé et actuelle des Aborigène. Ce film vient leur montrer. On veut aussi que de leur côté les Aborigènes comprennent qu’ils n’ont pas à assumer ça sur plusieurs générations. » Diffusé sur CBS durant un an, Incarceration Nation a aussi été projeté dans les établissements scolaires. « Ça amené une conversation. Il y a eu beaucoup de discussions et de connexions entre les gens. » Une conversation et une connexion qui se sont poursuivies lors de ce 20e FIFO.

Suliane Favennec – FIFO