Quelle place aujourd’hui pour les femmes dans la création documentaire ? Quel regard apporte la femme lorsqu’elle réalise ? C’était le sujet de la table ronde organisée jeudi 9 février sous le pae pae a Hiro. Pour nous, Nina Nawalowalo, réalisatrice du film en compétiton A boy a called Piano, et la productrice Catherine Marconnet (Archipel Production) reviennent sur ces questions centrales et en perpétuelle évolution.
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Nina Nawalowalo, réalisatrice de A boy a called Piano
Est-ce qu’il est difficile pour une femme océanienne de faire sa place dans la création de documentaire ?
C’est mon premier documentaire. J’ai constaté qu’il y a un plafond de verre. La difficulté est d’obtenir les opportunités parce que les gens se demandent si on est capable de le faire. On en est capable, j’en suis capable mais c’est vrai qu’il faut en faire un peu plus pour le démontrer. J’ai eu la chance de travailler d’abord sur des pièces de théâtres donc il y a déjà un lien qui s’est créé, j’étais déjà un peu dans ce monde-là. Quand on voit les représentations des hommes dans le Pacifique dans les médias, le fait qu’il y ait une vision féminine cela change les choses. On connaît nos hommes mieux que personne, je crois donc que nous sommes les mieux placer pour raconter l’histoire de nos hommes. Il y a aussi une histoire de confiance. Dans A boy called Piano, il y a cette confiance de l’épouse de Fa’amoana pour que je passe du temps avec son mari et ses fils. Elle m’a fait confiance sur ma capacité aussi à montrer ce qu’il faut montrer et ne pas montrer ce qu’il ne faut pas montrer. C’est une question de subtilité surtout sur les choses qu’il ne faut pas montrer, et nous nous avons cette subtilité.
Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour que la femme océanienne prenne un peu plus de place ?
C’est à nous de se bouger. La chef opératrice est une femme donc il y a vraiment une touche féminine dans la prise de vue et dans la façon de faire. Il y a aussi cette dimension poétique avec les images qu’on a créé autour de cette histoire qui a probablement quelque chose de très féminin. Sur la légitimité, on a travaillé en collaboration, mon mari est anglais, je suis originaire de Fidji et Fa’amoana de Samoa donc ce n’est pas la question qu’il ne faut pas qu’il y ait des blancs qui travaillent sur l’histoire, on peut collaborer ensemble. En tout cas, la touche féminine est très importante dans la façon de raconter l’histoire.
Qu’est-ce que vous conseillerez à des jeunes femmes océaniennes qui souhaiteraient se lancer dans la réalisation ?
Suivre son instinct. On n’est pas obligé de connaître toutes les réponses mais il faut suivre ce qu’on ressent profondément. Ça m’est arrivé d’être un peu aveuglée, d’être dans le moment et de ne pas savoir quoi faire, mais il faut savoir se faire confiance. Je pense que les gens qui verrouillent le moindre petit détail ne laisse pas assez de place à la magie. Il faut laisser de l’espace pour que la magie opère. Pour les jeunes femmes, c’est vraiment cette question d’instinct, ce n’est pas grave d’échouer, il faut essayer, il faut se lancer.
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Catherine Marconnet, productrice chez Archipel Production
Quelle est la place de la femme dans le documentaire ?
C’est très différent si on est au Vanuatu, à Fidji ou dans les territoires francophones. En Calédonie et en Polynésie, les chargés de programme dans les chaînes sont très souvent des femmes. Il y a un équilibre qui est en train de se faire. En Calédonie par exemple, les productrices et les réalisatrices sont plus nombreuses que les producteurs et réalisateurs. En Polynésie, il y a encore un gap je pense. Lors de la table ronde, on évoquait cette énorme évolution de la place de la femme, on évoquait aussi le fait que cela dépendait des sujets. Les sujets où l’on mène une enquête ou des sujets de société, on retrouve le plus souvent des femmes. Sur les sujets avec de gros budgets, comme les primes, qui sont axés sur l’histoire ou la science, les réalisatrices sont beaucoup moins nombreuses.
Pourquoi ?
Je pense que c’est dû sans doute au fait qu’on est cantonné, on s’est cantonné nous-mêmes à des sujets qui étaient peut être plus « féminin », mais c’est en train d’évoluer. La parité aujourd’hui est voulue, France Télévision par exemple au Sunny Side l’année dernière a clairement annoncé souhaiter atteindre la parité pour les réalisatrices. En Métropole et dans les territoires francophones, on devrait arriver à quelque chose d’assez cohérent même si on part de loin.
Quand une femme produit ou réalise, est-ce que l’on sent une différence ?
Je pense, oui. Moi par exemple, j’ai une façon de faire qui est plus maternant. J’accompagne, j’écoute, j’ai moins une vision financière. Je pense qu’on s’empêche d’atteindre certains niveaux, les femmes se disent d’abord je ne suis pas tout à fait prête, il faut que je fasse mes preuves. Je pense que les hommes se posent moins cette question. Ils sont prêts plus vite.
Suliane Favennec – FIFO