Vanuatu, îles Cook, Samoa, Nouvelle-Zélande, Australie, les trois collectivités du Pacifique français (Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna et Polynésie), une trentaine de professionnels de la région étaient réunis pour le 14e colloque des télévisions océaniennes organisé au FIFO. Interview avec Gonzague de la Bourdonnaye, animateur du colloque et responsable de la communication et de la stratégie numérique de Nouvelle-Calédonie la 1ère.
Le sujet du 14e colloque des télévisions océaniennes concernait les plateformes numériques et les productions locales et régionales, quelle était l’ambition de ce colloque ?
Nous voulions répondre à un phénomène que l’on pressentait depuis quelques années avec le tsunami numérique dont on parle depuis presque 10 ans au FIFO et qui arrive avec une acuité encore plus forte. Les plateformes numériques mondiales, que sont Netflix, Disney, les GAFAN (Google, Apple, Facebook, Amazon et Netflix), vont nous déverser des contenus et, avec leur force de frappe financière et technique et de distribution, risquent de happer toutes les productions de l’Océanie. Ce qui pose un vrai problème de patrimoine audiovisuel. On ne va pas lutter contre ça. L’idée de ce colloque était donc de réfléchir à une organisation nous permettant de rester maître de l’éditorial et de notre patrimoine audiovisuel et de continuer à être visible.
Quelle est la solution ?
La réponse est d’abord politique avant d’être économique. La principale décision de ce colloque est cet appel solennel lancé par l’ensemble des médias océaniens présents lors de ce 14e colloque aux chefs d’États et de gouvernements d’Océanie et au Forum des îles du Pacifique pour qu’ils participent à la création d’un fonds de soutien régional à la production audiovisuelle et numérique. Aujourd’hui, il y a des disparités énormes entre les territoires. Sur certains, il existe déjà un fonds de soutien mais sur d’autres, il n’y a rien.
A quoi servirait ce fonds ?
L’idée est de donner le choix aux producteurs et aux auteurs de vendre aux plateformes ou aux diffuseurs du Pacifique. Netflix ouvre un bureau à Sydney, ils vont proposer dix fois plus que les diffuseurs, mais la règle est la règle américaine. Ce qui signifie qu’ils achètent les documentaires et ces productions leur appartiennent. Plus question d’aller dans des festivals et d’être diffusés ailleurs. Il existe donc un risque de confiscation. Les pays ne pourront plus inclure ces documentaires dans leur patrimoine audiovisuel. Si on n’y prend pas garde, le patrimoine peut disparaitre ou s’éparpiller. Il est aussi question, avec ce fonds, de les aider à monter en gamme, les accompagner pour tout ce qui nécessite du financement comme le sous-titrage par exemple. Si on veut rivaliser avec les contenus proposés par les grandes plateformes, il faut des documentaires de qualité. Et cela demande des moyens. Nous pourrions aussi, grâce à ce fonds, structurer davantage les filières de production audiovisuelle et donc créer des emplois.
Mais pour les producteurs et réalisateurs, ces plateformes sont aussi l’opportunité de diffuser leurs films et de montrer l’Océanie au monde entier ?
Bien sûr ! Il n’est pas question d’ériger un mur. Il ne s’agit pas non plus de réclamer l’exclusivité de la diffusion. Mais si on a les moyens avec un fonds de production de leur offrir autant ou presque qu’une plateforme, au moins ils ont le choix et on leur donne la possibilité de privilégier les diffuseurs du Pacifique, pour que ce soit partagé en Océanie et conservé en Océanie.
N’est-ce pas un combat perdu d’avance ? La productrice Marianne Maddalena dit elle-même que ces plateformes sont plus fortes qu’eux (les producteurs américains) et même Martin Scorsese a signé.
Marianne Maddalena ne dit pas que c’est un combat perdu d’avance, elle dit que ce sont des mastodontes et que nous sommes tout petit. Si c’est un combat perdu d’avance alors on arrête tout le combat du Fifo depuis 17 ans et puis on sera noyé et peu visible. Si Netflix achète des productions, ça risque d’assécher le documentaire pour tous les autres et si on veut diffuser ces documentaires dans la région, le pourra-t-on ? Si Netflix décide que ça ne marche plus et le retire de son catalogue ? On n’aura plus rien, on ne pourra même plus le récupérer.
Les chaînes océaniennes sont dans quel état d’esprit ?
C’est une crainte et un stress mais c’est aussi une source d’opportunités. Ça va nous réveiller, nous obliger à repenser les éditoriaux et les modèles. Il faut repenser nos manières de concevoir nos médias. Demain, nous serons aussi des plateformes de contenus. Avec l’arrivée de la 5G, nos modèles classiques seront morts. Le public va consommer sans nous. Mais qui d’autres que nous créera des contenus d’informations, de proximité, des services ? Personne ne le fera. Il faut donc réorienter nos financements vers la production.
C’est une petite révolution qui commence ?
C’est une énorme révolution ! C’est un tsunami qui arrive avec les plateformes numériques et une grande révolution avec la 5G. La 5G va généraliser un mode de consommation direct, qui court-circuite les moyens habituels. Ce que proposent les plateformes de contenus va être démultiplié quand demain, avec une tablette ou un téléphone, où que vous soyez, vous pourrez y accéder.
D’où l’appel lancé par ce colloque ?
Les télévisions publiques et privées, les producteurs de toute l’Océanie, se sont tous mis d’accord. Nous avons signé cet appel en tant que professionnels et pas au nom de nos chaînes. Il faut d’urgence la création d’un fonds régional de soutien à la création audiovisuelle et numérique océanienne. Cela permettra aux professionnels de raconter par eux-mêmes leurs histoires et leurs cultures sans avoir la pression d’un groupe international qui va vouloir formater leurs productions. Ce fonds va aider à la consolidation, voire à la création, de filières locales de productions. Dans certaines îles, rien n’existe encore. Si on garde la maîtrise des contenus et des choix éditoriaux, on garde aussi le choix sur des sujets qui nous tiennent à cœur et qui peuvent appuyer les politiques dans les instances internationales, comme le changement climatique par exemple. On pourra développer des politiques documentaires au service de nos populations et des pays.
Lucie Rabréaud / FIFO 2020