FIFO 2025. Lisa-Jane Taouma est une écrivaine, réalisatrice de cinéma et de télévision et productrice samoane néo-zélandaise. Elle présente cette année Myths and Maidens en compétition. Rencontre avec la réalisatrice.
Lisa Taouma, une tête bien pleine ou une tête bien faite ? Exposer ses émotions avec force est son métier. Lisa, qui a grandi à Faleasiu et Tulaele à Samoa avant d’émigrer à Auckland, en Nouvelle-Zélande, est une femme de caractère. Titulaire d’un Master de l’Université d’Auckland et y a enseigné les arts du Pacifique. Le titre de sa thèse de Master en 1998 était Re-picturing paradise : myths of the dusky maiden.
Aujourd’hui elle est réalisatrice du film en compétition Myths and Maidens au FIFO, pour sa 22e édition. Comme un retour aux sources. Pour les personnes lambda, difficile de rester de marbre face à une fafine pareille. Femme engagée pour la visibilité féminine et autochtone océanienne, elle est également directrice d’une boite de production Tiki Lounge prods et d’une web TV, Coconet TV.
Lisa Taouma est une habituée du FIFO. En 2019, elle a présenté Marks of Mana, le premier film consacré au tatouage exclusivement féminin du Pacifique. En 2020, elle a par ailleurs été membre du jury où elle a été la seule femme. Cette année, la réalisatrice est de retour pour encore marquer les esprits et tenter de faire évoluer les mentalités.
Pour l’artiste, le FIFO est une opportunité : « Le FIFO est un festival très important, tant au niveau mondial que régional, car c’est l’un des seuls festivals à offrir une telle visibilité aux documentaires du Pacifique. Pour moi, c’est essentiel, car il n’a jamais été aussi crucial qu’aujourd’hui de raconter nos histoires et de les voir reconnues comme ayant une importance à l’échelle mondiale. »
Lisa souhaite avant tout porter une voix : celle des femmes. Toujours déterminée, elle milite : « Je veux donner de la visibilité aux femmes du moana dans mon travail, car nous sommes encore loin de l’équité en termes de représentation à l’écran. Les expériences des femmes du Pacifique ont à peine été explorées, et Myths and Maidens offre un aperçu de la vie des femmes à travers la région ». Elle affirme : « Les femmes du Pacifique représentent plus de la moitié de la population de la région, mais les défis qu’elles rencontrent reçoivent très peu d’attention dans les médias audiovisuels. Pourtant, ces défis ont un impact sur l’ensemble de nos sociétés du Pacifique, que ce soit au niveau économique, éducatif, de l’emploi, des violences ou du bien-être. C’est pourquoi je souhaite mettre en lumière les histoires des femmes du Pacifique, afin d’illustrer nos problématiques communes tout en valorisant la singularité culturelle de chaque île. »
« Nous devons toujours porter en nous notre culture, notre héritage et nos racines, et les célébrer avec fierté »
Aujourd’hui, si le public du Fifo 2025 se demande pourquoi voir son documentaire, sans détour, la réalisatrice, répond du tac au tac : « Je tiens vraiment à valoriser les femmes du Pacifique en tant que public principal. J’aime raconter des histoires à l’écran qui non seulement partagent nos récits, mais qui reconnaissent aussi que les femmes qui regardent sont un public essentiel auquel nous nous adressons. »
Pour la Samoane d’origine, il est rare que la spectatrice indigène soit celle à qui l’on parle directement. Dans Myths and Maidens, des femmes de Tahiti, de Hawaii, des Îles Salomon, de Papouasie-Nouvelle-Guinée, des Samoa, des Tonga et des Fidji s’adressent à l’ensemble de la communauté des fafine pasifika.
La directrice de Tiki Lounge, souhaite plus que tout faire passer des messages. Pour elle, il s’agit d’un travail plus que gratifiant et d’un privilège de partager les histoires de « nos communautés ».
Femme de conviction, elle ajoute : « Nous savons tous que les peuples du Pacifique comptent parmi les meilleurs conteurs au monde, que nous avons un immense talent dans le sport, la musique, les arts et la culture. En partageant ces récits, nous donnons de l’importance à nos narrations et nous créons des liens entre les gens. »
Bien dans sa peau et fière de ses racines, Lisa lève un autre bouclier, celui du colonialisme. Celle qui présente Myths and Maidens explique : « Une grande partie de ce documentaire met en avant nos points de vue et nos récits, qui diffèrent des narrations coloniales nous ayant dicté ce que nous étions censées ‘être’ et ce à quoi une femme du Pacifique devrait ressembler. Cela fait partie d’un effort pour décoloniser les mentalités au sein de nos propres communautés, en affirmant que 90 % des femmes du Pacifique ne correspondent pas à ces normes imposées. Il s’agit alors d’apprendre à célébrer et à valoriser qui nous sommes réellement, tant sur le plan culturel que physique. »
Fervente défenseuse de sa région, le Pacifique, elle est fière de dire qu’il s’agit là de la plus grande masse océanique du monde. Mieux, elle affirme ; « Nos peuples font partie intégrante de ce Moana Nui a Kiwa, qui couvre une grande partie de la surface terrestre. Les films Disney Moana comptent parmi les plus grands succès du box-office américain, et le monde entier s’est connecté à ces récits sur les peuples du Pacifique et leur région. Nos histoires restent encore largement méconnues, mais les films qui ont atteint la scène internationale prouvent que nous avons un impact bien plus grand que notre taille ne le laisse penser. Et ce n’est que le début. »
L’Océanie désormais au centre des débats, autant que les femmes, Lisa Taouma espère que tous « trouvent de l’espoir ». Son message : « Trouvez l’espoir au sein de vos communautés. Valorisez vos histoires, car elles sont tout aussi importantes que celles que l’on peut voir ailleurs dans le monde.
Notre joie autochtone, notre manière unique de vivre en tant que peuples du Pacifique, fait partie intégrante de notre résistance face à certaines idéologies qui émergent dans le monde. »
Elle signe : « E lele le toloa ae ma’au i le vai », qui se traduit par « L’oiseau toloa vole loin, mais il reviendra toujours à l’océan. » Lisa partage : « C’est un rappel puissant que, peu importe où la vie nous mène, nous devons toujours porter en nous notre culture, notre héritage et nos racines, et les célébrer avec fierté. »
Jenny Hunter