FIFO 2025. La filière de l’audiovisuel en Polynésie peine à se structurer pour attirer les sociétés de production étrangères porteuses de projets d’envergure. Une loi du Pays est actuellement à l’étude à l’assemblée de la Polynésie pour dynamiser le secteur. Elle permettrait la mise en place de mesures incitatives fiscales et financières pour pousser les productions à investir et à tourner au fenua. Les professionnels locaux attendent avec impatience cette loi et s’accordent sur la nécessité de créer un bureau des tournages en Polynésie. Un film office qui serait l’unique interlocuteur avec les productions étrangères.

En Polynésie française, le gouvernement souhaite dynamiser le  secteur de l’audiovisuel en le rendant plus attractif pour les sociétés de production étrangères porteuses de projets ambitieux. Pour cela, le Pays compte actionner plusieurs leviers et un projet de loi du Pays est actuellement dans les tuyaux de l’assemblée de la Polynésie. Ce texte prévoit une exonération de la TVA et la mise en place d’une subvention spécifique, sous conditions. L’objectif étant d’attirer de gros projets audiovisuels en étant plus incitatif. « Je précise que seules les sociétés de productions titulaires d’un agrément pourront bénéficier de ces aides et il faut que les projets soient portés par des sociétés locales. Une production internationale devra donc d’abord s’associer en co-production avec une société de production domiciliée en Polynésie française», souligne Raimana Lallemant-Moe, directeur par intérim de la Direction générale de l’économie numérique (DGEN). Et de poursuivre : « On parle de projets relativement importants d’au moins 100 millions de francs qui devront être dépensés au fenua ». Toutefois comme il le note, cette dotation ne sera accordée qu’en fin de projet. « La production étrangère pourra toucher une subvention, lorsque le projet sera terminé. Elle est égale à 15% des dépenses résultant des opérations exonérées de TVA. Mais ce taux pourra monter jusqu’à 20% en cas de dépenses supérieures à 200 millions de Fcfp », précise Raimana Lallemant-Moe.

Un projet de loi ambitieux attendu par les professionnels locaux de l’audiovisuel depuis une dizaine d’années pour développer le secteur. « Ce projet vise l’exonération de la TVA, pour la livraison des biens et de prestations de services liées à la production de film ou de documentaire. Cela permettra de faire participer un large panel d’opérateurs locaux afin de réduire le coût final des films », souligne la DGEN.

Avec ce volet fiscal et cette aide financière directe, le Pays espère susciter l’intérêt des grosses productions étrangères pour choisir la Polynésie française comme décor de tournage. Petit bémol du projet de loi, toutes les dépenses ne pourront faire l’objet d’exonération. À charge aux productions de se référer aux arrêtés listant les prestations pouvant être exemptées de TVA. 

120 Fcfp dépensés par la production rapporte 480 Fcfp au territoire

Le texte de loi aux mesures incitatives permettra enfin à la Polynésie française de se placer au niveau régional et international. Laurent Jacquemin de Filmin’Tahiti, une société de production locale explique : « Jusqu’à présent, peu de grosses productions viennent à Tahiti car nous n’aidons pas. S’ils vont voir les voisins, ils auront droit à des subventions. Ce sont des choix économiques. Les seuls qui restent chez nous, c’est surtout pour des sujets où ils ne peuvent pas aller ailleurs comme la vague de Teahupo’o qui ne peut pas se tourner ailleurs ».  

Jone Robertson, directeur général de Film Fiji partage son expérience sur le sujet : « Sans toutes ces incitations fiscales à Fidji, il n’y aurait aucune production ou tournage chez nous. Nous avons deux leviers fiscaux pour attirer les producteurs, d’un côté le volet fiscal et de l’autre financier ou nous apportons 20 % de soutien financier comme une offre de remboursement. Elles sont versées mois par mois pour aider la filière. Et sans abattements fiscaux, on n’aurait jamais pu accueillir de grandes stars hollywoodiennes. Il y a des films qui auraient dû être tournés à Tahiti mais ils ont choisi Fidji pour nos avantages parce que la Polynésie ne proposait rien pour aider les productions. La première question que tous les producteurs posent en amont c’est : « Avez-vous des avantages, des subventions, des incitations fiscales ? » Et c’est pour cela qu’ils viennent tourner chez nous ». Même constat du côté de l’île de La Réunion, l’argent reste le nerf de la guerre. Estelle Jomaron-Galabert, présidente de l’Agence film Réunion explique : « Nous on s’est revendiqué Terre de tournage pour attirer les productions extérieures. Nous invitons des producteurs allemands, français, anglais… et on leur fait visiter La Réunion. On leur promet que chez nous, ils pourront tout tourner. Il y a un film « Terrible jungle » avec Catherine Deneuve et Jonathan Cohen qui se passe 100 % en Amazonie et qui est tourné 100 % à La Réunion. Certains diront que c’est de la triche, mais c’est chez nous qu’ils ont dépensé leur argent. Pour se faire, on les a attiré avec un fond de soutien. Ils peuvent aller jusqu’à 300 000 euros d’aides (36 millions de Fcfp) et on peut déplafonner cette aide suivant les dépenses qu’ils nous promettent de faire dans leur plan prévisionnel. Bien sûr, il faut que cela réponde à un tas de critères, mais c’est comme ça que nous les attirons. Ainsi, ils peuvent être déplafonnés à 500 ou 600 000 euros (60 à 72 millions de Fcfp) pour les gros projets mais ils ont une obligation de dépenses sur le territoire assez importante ». 

Fidji et La Réunion affirment qu’un euro (120 Fcfp) de dépensé par la société de production sur leur territoire équivaut à 4 euros (480 Fcfp) qui reviennent dans les caisses de leur pays que cela soit en hébergement, en location de voiture ou encore en billets d’avion.

Mise en place de plus de commissions

Mesures incitatives et fonds de soutien sont nécessaires pour booster la filière de l’audiovisuel. Autre point important pour développer l’audiovisuel, la nécessité de créer un film office, un bureau de tournages. Il s’agirait d’un bureau répertoriant tous les techniciens, réalisateurs ou producteurs de l’audiovisuel, qui officierait comme interlocuteur unique des sociétés étrangères. 

Le film office est une interface qui proposerait aux productions extérieures un accompagnement tout au long de la préparation du tournage. Véritable clé de voûte, le bureau des tournages faciliterait l’accueil des sociétés de production audiovisuelle, développerait la notoriété et l’image du fenua. « En Polynésie française, si vous voulez avancer, il faut absolument une agence qui réunirait tous les professionnels et qui mettrait d’accord le gouvernement, les institutions et les professionnels », insiste Estelle Jomaron-Galabert. 

Jone Robertson indique quant à lui : « Vous ne pouvez pas avancer sans mesures incitatives et sans commissions supplémentaires ». À La Réunion, une commission se tient tous les deux mois pour étudier entre 25 et 30 projets. En Polynésie française, une seule commission se réunit par an pour l’attribution d’aides financières au secteur. « C’est juste impossible de travailler ainsi », pestent les professionnels locaux. 

De plus, pour Jone Robertson, pour que la Polynésie développe la filière audiovisuelle, cela doit passer par une structuration très organisée.  « Les productions étrangères nécessitent une multitude de services à laquelle il faut répondre sinon cela ne marchera pas. Cela demande beaucoup d’équipes qualifiées et beaucoup de temps. Il faut se rappeler que ces sociétés de productions vont dépenser des millions et des millions dans l’économie du pays. Vous devez, pour réussir vous demander combien de projets vous pouvez accepter sur une période pour les mener à bien. Ce sera le rôle de la commission de bien gérer cela. Il faut que les productions repartent en ayant vécu une bonne expérience, ainsi ils reviendront investir dans votre pays », martèle le directeur général de Film Fiji. La loi du Pays et la création d’un bureau de tournages sont essentiels pour dynamiser le secteur et vendre la destination à l’international. Les professionnels espèrent pouvoir compter sur la « fiabilité » du gouvernement local pour enfin capter des marchés étrangers. 

Jenny Hunter