Patrick Durand-Gaillard est rédacteur en chef des magazines de Nouvelle-Calédonie La 1ère . Il a dirigé la collection Archipels en Océanie et a cofondé avec Wallès Kotra, la case Itinéraires. Il part dans quelques semaines à la retraite, retour sur une carrière tournée vers le documentaire.

Quand et comment avez-vous commencé ?

Il me semble que je commence ou recommence tous les matins (rires). Dans nos métiers, il faut avoir l’humilité de se dire que chaque jour est une expérience nouvelle et donc un apprentissage. C’est cela qui est formidable. On se remet en question tous les matins ! Si on est passionné, on ne se lasse jamais. Cela fait 42 ans déjà que tout a commencé. Mon parcours : la presse écrite, F3 puis RFO et FTV dans l’outremer ou je me trouve aujourd’hui, au terme d’une longue escale en Nouvelle-Calédonie. Apres un long séjour en Asie du sud-est (où mon père était diplomate) puis en Amérique latine après mes études, j’ai un peu « bourlingué » dans les outremers. En Guyane, Martinique, Guadeloupe, Tahiti, St-Pierre et Miquelon et Wallis-et-Futuna, avant de revenir vers la Polynésie puis la Calédonie. Je suis aujourd’hui le rédacteur en chef des magazines de la chaine à Nouméa. Cela s’entend par la supervision, en lien avec les antennes, d’une partie des documentaires et magazines produits ici et dans le bassin Océanien. Dans le même temps, j’ai pu piloter pour le compte du Pôle Outremer, la collection « Archipels » en Océanie. Je me dis que j’ai une chance extraordinaire de faire ce métier.

Quels étaient les objectifs de la création de la case documentaire puis d’Itinéraires sur Nouvelle-Calédonie la 1ère à partir de 2011 ?

Très clairement il s’agissait de donner à voir et à entendre sur ce que l’Accord de Nouméa désignait, dès 1998, comme l’expression d’un « destin commun » pour tous et d’un « vivre ensemble » pour chacun, avant de se donner un « avenir en commun ». À l’époque, la ferveur est grande, et même si de nos jours ces termes paraissent un peu galvaudés dans la parole publique et le discours citoyen, il nous fallait traduire « en images » un projet de société qui engageait toute les communautés du pays. Dès lors, la ligne éditoriale était clairement de souligner les « ressorts » identitaires et culturels de nos sociétés. Mettre en perspective histoire et traditions, cultures et modes de vie dans un contexte, certes un peu dogmatique, de décolonisation. Une décolonisation entendue au sens systémique du terme bien sûr. L’enjeu était de taille : il fallait que les Calédoniens se reconnaissent dans nos films. Les premières grandes coproductions sont lancées en partenariat avec une filière professionnelle encore fragile. Cela pour répondre à un défi : être présent chaque semaine en prime sur NC La 1ère.

Avez-vous le souvenir du premier documentaire diffusé dans Itinéraires ?

Pour moi le premier film fort, qui reste dans les mémoires, est incontestablement : La Monique, une blessure calédonienne. Diffusé en 2012, le film a été repris dans le best-off des 10 ans de l’émission l’an passé. Il en dit beaucoup sur l’influence d’une mémoire partagée dans la construction d’un pays. Pour rappel, l’épave de ce caboteur disparu en 1951 entre Mare et la Grande-Terre avec une centaine de passagers à son bord, n’a jamais été retrouvée. Cette histoire d’un deuil inabouti crée un lien d’une force inimaginable entre les familles des disparus. Ils sont de Maré, de Lifou, de la Grande Terre. Cette quête d’un lieu de recueillement pour les familles et descendants des victimes du naufrage se poursuit. Il est prévu que les recherches reprennent dans un avenir proche. Ce premier film s’inscrit parfaitement dans l’ambition d’altérité voulue au départ.

Dix ans plus tard, quelle a été l’évolution des documentaires diffusés ?

Très nettement l’ambition s’est resserrée autour du lien, de l’utilité sociale et de la proximité. Il s’agit aujourd’hui de traiter par l’écriture documentaire les grands sujets sociétaux du moment. Certes nous traversons une période de transition institutionnelle avec ses effets parfois pervers sur le bien-être commun mais nous vivons, ici aussi, comme partout ailleurs avec les questionnements de tous les jours. Les grands sujets du moment s’imposent : autour de l’économie et du travail, de l’école et de la jeunesse, de la santé et de la protection sociale , du logement ou de notre mobilité. Mais Itinéraires se veut aussi une fenêtre vigilante sur le climat et la protection des milieux naturels parmi lesquels notre domaine maritime, sur les violences de toutes sortes dont la délinquance, les violences intra-familiales. Nous voulons accompagner les préoccupations du moment pour toutes les générations. Récemment plusieurs films ont marqué les esprits : Covid Blues sur la pandémie, Délinquance sur la jeunesse dans nos quartiers, J’aime qui je veux sur l’homosexualité ou encore Destins brisés sur le sort des Japonais en Calédonie durant la guerre du Pacifique. C’est tout cela le lien sur lequel nous voulons mettre l’accent aujourd’hui. On le devine, le spectre est large et veut répondre aux attentes de toutes les générations qui nous regardent.

Est-ce que la création d’une case spéciale dans la grille de la chaîne a eu un impact sur le secteur audiovisuel en Nouvelle-Calédonie ?

On peut penser que oui car la filière locale est fortement associée à nos productions. Les producteurs, réalisateurs, auteurs, techniciens rivalisent d’imagination et de talent pour répondre à nos demandes ou proposer leurs idées ou créations. Aujourd’hui la filière professionnelle contribue à plus de 80% à l’offre documentaire sur nos grilles linéaires et numériques. Elle représente un chiffre d’affaires de plusieurs centaines de millions de francs et des centaines d’emplois directs ou induits. De plus, elle peut désormais s’adosser à un Fonds de soutien doté d’un budget de 120 millions de francs. Par ailleurs, on retiendra l’apparition de nouveaux diffuseurs tels que « Calédonia ». Notre jeune concurrente fait du bon boulot, et il ne faut pas oublier Canal-Calédonie qui contribue à l’effort documentaire sur le territoire. Donc effectivement le diffuseur que nous sommes a fortement contribué à la consolidation des métiers de l’audiovisuel.

Comment la collection Archipels est-elle née et quels étaient ses objectifs ?

Cette collection est une longue histoire et avant tout l’aventure de toute une équipe, réunie aujourd’hui au sein du pôle Outremer. Plus de 500 films ont été réalisés ou achetés en 20 ans. L’ambition est simple : raconter des histoires de femmes et d’hommes dans nos différentes régions et bassins. Mais ne pas raconter n’importe quoi, n’importe comment ! Il doit y avoir un point de vue. C’est le regard ultra-marin qui prime et qui s’impose. Un temps nous appelions cela la « contre histoire ». La plupart de ces films affichent les singularités ultramarines sur les écrans hexagonaux ou internationaux. En Océanie, 8 à 10 documentaires « Archipels » sont réalisés tous les ans pour être diffusés chez nous et dans les autres bassins du Pôle. Ce fut longtemps – et sans flagornerie- le vaisseau amiral de notre société avec l’ambition de rompre avec les clichés et les idées reçues sur nos îles. Si je devais résumer, je dirais qu’il fallait casser les préjugés sans arrogance et offrir un contre regard sans dogmatisme sur les relations parfois tumultueuses et compliquées des outremers avec la France continentale.

La fermeture de France Ô en 2020 est-elle un échec ?

C’est une page qui a été tournée. Et je ne suis pas sur qu’il soit tres productif de revenir sur les tenants de cette décision. Dans tous les cas ce n’est pas un « échec » imputable aux équipes de la chaine. Pas un professionnel digne de ce nom ne se satisfait d’un écran noir. L’entreprise s’est pliée à une décision des pouvoirs publics dont les acteurs diront que leur initiative était légitime en regard des audiences et de la notoriété de FÔ. Le projet était d’afficher autrement les outremers sur le service public. Aujourd’hui, cette étape est franchie et la vérité serait de dire que ce travail de « visibilité » est engagé avec efficacité par les équipes du pôle via les chaines de France Télé. De l’avis de tous, le pari est en passe d’être gagné autour de Sylvie Gengoul et les équipes de Luc de Saint-Sernin. Dans tous les cas, comme fabricant et diffuseur de films en Océanie, je m’y retrouve aujourd’hui et la filière de production locale en retirera les fruits.

En quoi le documentaire, d’une manière générale, a un impact sur la société ?

Il montre la vraie vie. Il raconte de vraies histoires. De celles qui arrivent à de « vrais » gens. Qu’ils s’agissent de gens ordinaires ou « extraordinaires », qu’ils habitent au coin de ma rue ou à l’autre bout de la planète, le genre documentaire est un concentré d’authenticité. Il prend son temps pour nous narrer de petites histoires de tous les jours ou nous en dire plus sur les faits qui jalonnent la grande Histoire. Il nous emporte, nous enflamme, nous fait rire ou pleurer. Le documentaire nous fait découvrir les horizons lointains et rencontrer les hommes. Il nous rend empathique aux gens ou aux grandes causes. Il est le porte-voix des anonymes et des invisibles . Il y a une phrase que je reprends souvent derrière Wallès Kotra à propos de l’Océanie. Elle dit ceci : « Dans nos régions, le documentaire rend visible nos îles minuscules et dispersées. Et c’est bien la raison d’être du FIFO ! »

 

Article rédigé par Lucie Rabreaud