FIFO 2025. Rachel Perkins est une réalisatrice, productrice et scénariste de cinéma et de télévision aborigène australienne. Cette année elle est membre du jury du festival. Femme forte, elle milite pour raconter l’histoire véritable de son pays. Avec 30 ans de carrière dans l’audiovisuel, elle souhaite passer le flambeau à la nouvelle génération et ouvrir les portes d’une école de cinéma en Australie aux Polynésiens.

Rachel Perkins est aborigène d’Australie et le revendique haut et fort. Femme de caractère à la voix suave, elle est une pionnière pour la mémoire et la culture autochtone. Influencée par un père activiste bureaucrate, militant pour les droits des aborigènes, elle a consacré ces 30 dernières années à « briser des barrières invisibles ». « En tant que femme, en tant que personne aborigène, j’ai essayé de casser des stéréotypes et dépasser les attentes qu’il pouvait y avoir. Quand j’ai commencé à faire des films, il n’y avait que deux films qui avaient été réalisés par des aborigènes. J’avais 18 ans, j’en ai aujourd’hui 55 », se rappelle la cinéaste. 

Curieuse d’en découvrir davantage sur sa culture et bénéficiaire d’une bourse, elle a intégré une formation dans la réalisation de films. Là, c’est le déclic. « La responsable qui était en charge de notre formation était une femme très puissante et matriarcale. Elle nous a expliqué pourquoi on nous avait donné l’opportunité de suivre cette formation. Elle nous a dit qu’on devait être la voix à travers laquelle notre peuple pourrait s’exprimer », indique-t-elle. Avec sagesse, elle explique : « Nous sommes une minorité dans notre pays. Les Aborigènes, nous représentons 3,5 % de la population. On a été tellement opprimés donc on utilise les films pour que les gens comprennent nos difficultés mais aussi dans une quête de justice. C’est aujourd’hui ce qui me guide, me motive. Le cinéma ne connaît le succès que quand on touche les gens de façon émotionnelle et affective, quand on a un message à transmettre. On doit donc réussir notre film parce qu’autrement on obtient pas ce que l’on veut : la justice, la compréhension ». 

Scénariste, réalisatrice et productrice, elle est à l’origine de nombreuses productions primées. Aujourd’hui, elle inspire la nouvelle génération qui voit en elle un mentor car Rachel a toujours œuvré à travers son regard, celui des peuples premiers, à raconter l’histoire véritable de son pays. 

Son travail consiste à exposer des vérités historiques, aider son peuple et son pays à mieux comprendre leur histoire pour faire la paix avec le passé, celle du colonialisme et ses dérives. « Je pense que pour guérir des traumatismes, il faut dire la vérité et être en mesure de l’entendre. Avoir cette connaissance et reconnaissance, cela permet de tendre vers la guérison », explique Rachel avec beaucoup de recul.

Pour parvenir à sensibiliser autant les Australiens que les Aborigènes, la militante a lancé un programme éducatif. « Mes films, les séries que j’ai pu faire il y a quelques années sont des vidéos éducatives qui sont le plus vendus en Australie loin devant les autres. Ils sont utilisés dans les écoles et des milliers d’étudiants les voient et peuvent voir leur pays d’une autre manière avec une vérité élargie », se réjouit la cinquantenaire. Ses vidéos présentent l’Australie, « sa véritable histoire » oubliée que l’on ne mentionne aucunement dans les manuels scolaires. 

Pour parvenir à un tel cheminement, elle cite ses sources d’inspirations de l’époque que sont Merata Mita, cinéaste autochtone māori, figure pionnière du cinéma māori et Spike Lee, scénariste, réalisateur, centré sur la communauté afro-américaine et les problèmes sociaux et identitaires des minorités. 

Passage de flambeau

Après 30 ans dans le milieu, Rachel travaille toujours d’arrache-pied. Ce devoir de transmission, elle souhaite aujourd’hui le partager avec les Polynésiens. 

«  Nous avons créé une école, un espace pour les Aborigènes et c’est sans doute la meilleure école de cinéma d’Océanie. J’ai réalisé en venant ici que nous pouvions faire plus. C’est pourquoi j’aimerais amener des étudiants polynésiens pour qu’ils puissent étudier le cinéma dans cette école.

J’ai parlé au président du Pays, Moetai Brotherson. Il soutient cette idée et il pense qu’elle est excellente. Il a donné sa bénédiction pour que je parle à notre ministère des Affaires étrangères pour essayer de créer des opportunités dans ce sens, pour qu’ils puissent recevoir le meilleur enseignement possible », révèle-t-elle.

En attendant de rentrer au pays pour tenter d’intégrer les Polynésiens au sein de la structure, sa venue au fenua l’a ébranlée. « J’ai appris énormément. En regardant les films, cela m’a rappelé en rencontrant les réalisateurs, les organisateurs, à quel point notre travail est important. Certains des films présentés m’ont vraiment touchée personnellement et inspirée. Je n’ai pas fait de film depuis deux ou trois ans. C’est la première fois de ma vie que j’ai fait un break aussi long en 30 ans. Et là, ça m’a ouvert les yeux. Il est peut-être temps pour moi de retourner à ce travail. J’ai pensé à tout arrêter mais le festival a eu un réel impact sur moi », se confie Rachel. 

De nouveaux projets en tête, la transmission reste son moteur et elle explique : « Au FIFO, il y a un film sur les femmes du Pacifique et les femmes polynésiennes qui m’ont rappelé l’importance, quand on arrive à mon âge, de faire de la place aux jeunes, en particulier aux jeunes femmes ».

Jenny Hunter