C’est l’histoire d’une petite île, Rapa nui, qui doit trouver l’équilibre entre son développement économique et la protection de son environnement. Une question incarnée par quatre personnes : Mama Piru qui lutte contre les déchets, Mahani et Piru qui essayent de vivre selon leur idéal et Sergio, le père du réalisateur, qui fait construire un centre commercial.
Sergio Mata’u Rapu est né à Rapa nui. Il voulait montrer une image moderne de son île, loin des clichés et des stéréotypes, las des idées reçues. Alors qu’il réalisait son film, son fils est né, donnant une nouvelle dimension au documentaire. Il s’agissait maintenant de réfléchir à l’impact du mode de vie contemporain sur l’île. Il prend l’exemple de l’alimentation où tout, ou presque, est importé. Seulement 2% de ce qui est consommé est produit sur place. Cette nourriture qui arrive d’ailleurs laisse derrière elle des déchets. De manière symbolique, Sergio et son fils mangent un yaourt. Une réflexion s’amorce : faut-il renoncer à ce yaourt qu’on aime mais qui n’est pas bon pour l’île car il ne vient pas de Rapa nui ? Comment poursuivre le développement économique, la croissance de Rapa nui, sans impacter l’environnement ?
Quatre personnages vont partager leur propre vision. Mama Piru dénonce ces nouveaux modes de vie qui consistent à consommer et à jeter. Plus rien n’est réutilisé comme autrefois. Elle travaille à l’usine de recyclage et montre le résultat d’un week-end à Rapa nui : bouteilles d’eau, canettes de bières… Elle va sur les plages, ramasser les morceaux de plastique et toute sorte de déchets qu’elle voit trainer. Sergio Rapu, le père du réalisateur qui porte le même nom, voit l’avenir à travers la croissance économique. Il fait construire un grand centre commercial : « Quand on apporte du nouveau, cela amène un degré d’incertitude. La culture change, rien n’est statique, Rapa nui n’est plus isolé comme avant », assure-t-il. Mahani et Piru, eux, ont une idée claire de leur avenir : construire une école de musique en matériaux recyclés, selon le concept du umanga où tout le monde participe, et proposer des cours de musique gratuit. Classique, comme traditionnel, les élèves apprendraient tous les styles.
Deux visions qui s’affrontent.
Mahani est une pianiste chilienne reconnue qui a été lauréate de plusieurs concours internationaux et Piru est ingénieur et artiste. Ce sont leurs visions qui vont s’affronter dans le documentaire. Mama Piru et le père de Sergio sont de la même génération. Tous deux ont voyagé et sont revenus à Rapa nui pour agir auprès de leur communauté. Tous deux souhaitent le bien de leur communauté mais tout les oppose. L’une ramasse les déchets et ne cesse de dénoncer la société de consommation, l’autre ouvre un centre commercial. Mama Piru n’hésite pas à poser la question au réalisateur : il vit aux États-Unis, comment se passe le recyclage de ses déchets là-bas ? Sergio réalise son ignorance et s’interroge alors sur l’impact de sa famille qui est révélateur du mode de vie contemporain. Il interroge aussi son père : est-ce vraiment une bonne idée ce centre commercial ? « L’argent n’est pas le but mais avec l’argent, tu obtiens des améliorations dans ta vie. » Il souhaite que son peuple ait une meilleure vie. Alors que le centre commercial est inauguré, la construction de l’école de musique de Mahani et Piru en matière recyclée se termine. Pour eux aussi, l’avenir reste flou. Comment réussir à faire vivre leur école sans argent dans ce monde moderne où tout fonctionne avec l’argent ? Aujourd’hui, ils ont renoncé à leur idéal et les parents doivent payer l’inscription de leur enfant. « Le film raconte une histoire d’adaptation et finalement, ils se sont adaptés et ont dû faire des compromis », révèle Sergio.
Aujourd’hui, Sergio Mata’u Rapu vit toujours aux États-Unis mais il reconnait que son cœur est à Rapa nui, tout comme celui de sa femme. Le travail les empêche de s’installer sur l’île qu’ils aiment tant. Ils ont deux enfants, un deuxième garçon est né après la réalisation du film et Sergio s’interroge : « Comment transmettre ma culture alors que je vis à l’étranger ? C’est difficile mais malgré la distance, les enfants voient les images de Rapa nui sur Internet et il y a cette connexion avec leur terre qui est presque naturelle. Quand nous avons emmené pour la première fois notre deuxième fils sur l’île, au bout de trois jours il s’était acclimaté, courant partout pieds nus ! J’étais soulagé ! » Continuer à faire vivre sa culture et réussir à se développer dans un monde moderne tout en préservant les écosystèmes : c’est le défi des habitants de Rapa nui, mais aussi le nôtre où que nous soyons.
Lucie Rabréaud / FIFO 2020