Rurutu, terre de ‘Umuai est un film qui raconte une tradition propre à Rurutu, île des Australes : le Umuai est un mariage qui se célèbre en communauté. Il est une preuve d’amour de la famille avec comme objectif de perpétuer la généalogie. Lors du Umuai, les enfants sont mariés par leurs parent le même jour. Ce sont d’ailleurs les parents qui l’organisent, les enfants n’ont pas leur mot à dire. Attention, il ne s’agit pas là de mariage forcé, mais simplement d’une tradition très respectée à Rurutu. Durant une semaine, les mariés sont fêtés et couverts de cadeaux par leurs proches. Toute la communauté met la main à la pâte. Chacun a son rôle : ceux qui s’occupent du ma’a (repas), ceux ou plutôt celles qui s’attellent à la confection d’œuvres artisanales comme la natte rouge ou le iripiti. Un travail en communauté qui fait la force des gens de Rurutu. Nous avons rencontré Virginie Tetoofa et Teiva Drion, les deux réalisateurs du documentaire Rurutu, terre de ‘Umuai. Interview.
Comment vous-êtes vous intéressés à cette histoire, cette tradition ?
Teiva Drion : Par ma famille. Ma belle-sœur est originaire de Rurutu, un jour elle m’a raconté cette tradition. J’ai été très surpris, je suis friand des légendes et histoires de mon fenua, alors j’étais étonné à 35 ans de n’avoir encore jamais entendu parler du Umuai. Du coup, ça m’a donné envie de raconter cette histoire.
Virginie Tetoofa : Ce qui m’a d’abord intéressé est l’aspect communautaire. Dans l’année, il est possible d’avoir autour d’une famille 7 enfants qui allaient se marier le même jour. Les voir se réunir, se préparer ensemble, c’est tout un travail. Il faut travailler le taro, le cochon qui doit grossir pour être fin prêt, tout ce qui est artisanal, toutes les affaires de maison… La préparation peut prendre des années pour les parents, et des mois pour les familles. Les familles ont un quota à respecter pour le Umuai.
Comment avez-vous réussi à vous approcher des familles ?
Virginie Tetoofa : Il a fallu plusieurs mois de travail. Teiva les a d’abord eus au téléphone chaque mois pour tenir un lien. La chance qu’on a eue est qu’avec la dernière famille, le couple qui organise le Umuai, la femme a une sœur qui vit à Tahiti donc elle nous a aidés à faire le lien.
Teiva Drion : Le lien était difficile à entretenir car on n’avait pas de contact direct, on avait un intermédiaire. Jusqu’au jour où on a réussi à faire un messenger et nous avons donc pu directement expliquer notre projet. Mais nous avons vraiment rencontré les familles au moment du tournage quand nous sommes allés à Rurutu. Après, une fois que nous avions l’accord des parents, les enfants n’ont pas vraiment leur mot à dire. Mais encore une fois attention, le Umuai n’est pas un mariage forcé, les couples souvent se sont déjà unis à la mairie, à l’église, mais là ils le font de manière traditionnelle.
Quelles difficultés avez-vous rencontré lors du tournage ?
Teiva Drion : Celle de prendre les réactions à chaud, ce n’est pas une fiction, on ne peut pas recommencer. On avait des émotions à l’écrit mais c’était souvent beaucoup plus difficile à l’écran. Heureusement, nous avons tourné avec deux caméras, on avait donc deux fois plus de chance de capter les émotions.
Virginie Tetoofa: La langue a aussi été une barrière au début. On a compris que deux consonnes étaient retirées par rapport par exemple au reo tahiti. Au début, ça été difficile, puis à force on s’y est habitué.
Que représente le Umuai pour les Rurutu ?
Virginie Tetoofa : Le Umuai n’a rien à voir avec le mariage traditionnel tahitien. C’est un pasteur qui l’a remis au goût du jour au début du 20e siècle car il sentait que la communauté se détachait de sa généalogie, elle en perdait la trace. Le Umuai est donc plus cette idée de rassembler les gens et de faire ce lien généalogique. Il permet de retracer les liens de la famille pour montrer l’appartenance des gens. Le Umuai c’est « Je viens pour me réjouir de ce lien qui réunit toutes les familles ».
Teiva Drion : Il y a un déroulement dans le Umuai. Le lundi, par exemple ce sont les frères et sœurs du papa qui viennent rendre visite et offrir les cadeaux aux mariés, le mardi, ce sont ceux de la maman, le mercredi ce sont les cousins, et ensuite tout le reste de la population. On ne fait pas passer les familles n’importe comment : du plus proche au plus éloigné. Les Rurutu sont très fiers du Umuai car le plus important est la généalogie, cette identité.
Est-ce une tradition qui se perd ou se perpétue malgré les années et la mondialisation ?
Virginie Tetoofa : A Rurutu, il y a toujours eu cette volonté de transmission. Les gens ont toujours eu cette réputation et ce sont des travailleurs. A vrai dire, il y a même trop de Umuai, cela est très lourd pour la population. Du coup, maintenant, certaines familles donnent une dote pour faire le Umuai. A Rurutu, ils veulent instaurer un arrêté pour réguler le nombre de Umuai par an à deux, trois. Aujourd’hui, on est à six par an. C’est énorme ! Même les cochons n’ont plus le temps de grossir, du coup, avant on avait des cochons de 200 kilos, aujourd’hui, ils font 50 kilos.
Teiva Drion : En fait, c’est un peu leur vie de tous les jours, ils vivent de ça. Ils ont un travail mais ils maintiennent par exemple leur tarodière. Le problème vient plutôt au niveau de l’artisanat, il y a moins de jeunes aujourd’hui qui le pratiquent car c’est très technique et souvent long. Pour faire par exemple un Iripiti, un grand drap cousu comme un tifaifai, il faut entre six mois à un an. Le Umuai, c’est toutes ces petites choses qui sont faites autour de l’événement en lui-même. C’est aussi le lien entre les générations, les jeunes viennent regarder ce que font les anciens, du coup ils voient et peut-être que cela peut leur donner l’envie pour plus tard.
Qu’est-ce que le film vous a apporté ?
Teiva Drion : Des envies… (sourires). Mon frère et ma belle-sœur – qui est de là-bas – vont se marier traditionnellement avec le Umuai.
Virginie Tetoofa : J’ai envie d’en savoir plus sur ma généalogie car j’ai un lien de parenté avec la famille là-bas. Personnellement, je voudrais faire un umuai, le umuai c’est aussi un four traditionnel, je veux donc retourner à la terre et planter. Ce film m’a donné envie de ne pas perdre ces valeurs.
Projections
Mardi 4 février à 14h15 au Grand Théâtre
Mercredi 5 février à 13h25 au Grand Théâtre suivie d’une rencontre avec les réalisateurs
Jeudi 6 février à 9h25 au Petit Théâtre
Suliane Favennec / FIFO 2020