FIFO 2025. Stephen Stehlin est le producteur de Maisuka – Diabetes the Silent Killer, un film projeté hors compétition cette année au festival. Stephen est un pionnier de la radiodiffusion pacifique pendant près de 40 ans avec sa société de production SunPix et son programme phare, Tagata Pasifika. Cette émission est devenue une référence culturelle qui porte la voix des autochtones et du Pacifique. Son cheval de bataille : la transmission et donner de la visibilité aux communautés de la région.

Taualeo’o Stephen Stehlin est un grand sage. Coutumier du Fifo depuis 21 ans, comme à son habitude il aborde ce festival avec amour, respect et admiration. En effet, Stephen compte parmi les premiers festivaliers professionnels de l’événement. « Créer un festival chaque année dans un petit pays, c’est un exploit qui mérite d’être célébré », admire Stephen. Et d’ajouter : « Et puis, c’est comme rentrer à la maison ». Ce pionnier de la radiodiffusion pacifique pendant près de 40 ans avec sa société de production SunPix et son programme phare, Tagata Pasifika en Nouvelle Zélande connaît bien le fenua. Dans son adolescence, il a participé à un échange scolaire à Tahiti avec le docteur Jean-Paul Theron. Depuis les deux hommes cultivent un lien de fraternité depuis 52 ans maintenant. Tout naturellement, le producteur est devenu le parrain de Laura Theron, la déléguée générale du Fifo depuis 2024. « Je suis amoureux de la Polynésie française », déclame-t-il. Si le fenua est comme sa deuxième maison, cet amateur de poisson cru n’oublie pas d’où il vient : Aotearoa, le pays au long nuage blanc. L’homme avec le cœur sur la main raconte ses débuts professionnels en Nouvelle-Zélande. « Quand j’étais jeune, je ne savais pas vraiment quoi faire de ma vie, mais j’ai eu la chance d’être sélectionné parmi de nombreux jeunes pour travailler sur les programmes māori à TVNZ. À l’époque, je ressemblais un peu à un Māori, car mon père est Samoan. Alors, j’ai sauté sur l’opportunité de travailler sur la seule émission pacifique existante : Tagata Pasifika. » Une occasion rêvée qui s’est parfois transformée en un long combat pour que l’émission devienne légitime et une référence culturelle aujourd’hui. « Il faut se rappeler que Aotearoa est une nation māori, mais à cette époque, cela ne se voyait pas du tout. Les Palagi / Pākeha / Popoà contrôlaient tout et nous n’étions même pas représentés à la télévision. Quand Tagata Pasifika est arrivée à l’écran, il y a eu une connexion immédiate avec les peuples du Pacifique et cette relation perdure encore aujourd’hui. Dans le monde anglo-pacifique, nos journalistes et présentateurs, ainsi que l’émission elle-même, sont très connus. Cette reconnaissance continue de nous surprendre », se réjouit Stephen. Après avoir pris une retraite amplement méritée l’an dernier, Stephen comme une piqûre de rappel souligne : « Il fut un temps, à Aotearoa les seules histoires racontées sur les Māori et les pacific islanders étaient négatives et cela continue encore aujourd’hui. Notre identité est ancrée dans le moana, l’océan qui nous unit. Nous devons nous entraider et valoriser nos cultures. »

Une mission de visibilité et de transmission

Depuis 40 ans, celui qui chérit son île de Waikehe défend la visibilité autochtone du Pacifique en racontant leurs histoires. Travailleur acharné, le plus important pour lui est que l’on reconnaisse « notre place en tant que peuple de cette région. Nos ancêtres ont réalisé d’incroyables voyages à travers l’océan, ils étaient des navigateurs sophistiqués. L’océan ne nous sépare pas, il est ce qui nous unit, et cela inclut aussi la Polynésie française ! » Si Tagata Pasifika est considéré aujourd’hui comme une passerelle culturelle, ce collectionneur de films, de documentaires et de livres, en toute humilité se félicite : « Aujourd’hui, c’est moins un pont qu’auparavant car nous n’avons plus besoin de nous justifier auprès de qui que ce soit. Nous célébrons nos succès et la beauté de ce que nous sommes. » Ce qui l’anime depuis toujours : montrer le passé à la nouvelle génération. « Il y a une expression māori : ka mua, ka muri, qui signifie « avancer à reculons vers l’avenir ». Elle reflète l’idée que c’est en regardant le passé que l’on trouve la sagesse et la direction pour l’avenir. Notre mission est donc d’assurer cette transmission, en particulier grâce à nos anciens, qui détiennent la langue et la culture. » Résilience, respect et esprit d’équipe sont les valeurs qu’il porte au quotidien pour mener à bien tout ce qu’il entreprend et faire évoluer les mentalités. Pour y arriver, comme un mantra, il se répète et partage à qui le veut ce message : « reste fidèle à toi-même. Fais ce qui est juste. Aime ton prochain – même quand il te rend fou. » (rires) Bien qu’il ait annoncé son retrait au sein de SunPix, celui qui affectionne If it be your will de Leonard Cohen, nourrit de nouveaux projets. Il travaille actuellement sur un documentaire sur deux frères samoans qui excellent dans le monde de l’opéra. Et s’il ne le sait encore s’il s’agira de son dernier film, ce bout-en-train avoue malicieusement passer beaucoup trop de temps à regarder Netflix avec son mari car trop paresseux pour encore courir des marathons. En attendant de retourner sur son île près d’Auckland pour cultiver ses tomates françaises dont il se dit très fier, il profite du Festival international du film documentaire océanien et rappelle son importance : « Il n’y a qu’un seul festival de documentaires du Pacifique et il s’appelle FIFO, ici-même ! ».

Jenny Hunter